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Tous victimes du problème

Une vague de victimisation et d’hypocrisie
submerge l’Italie. Pour esquiver leurs responsabilités, les puissants
n’ont plus recours à la philosophie de Machiavel, mais aux larmoiements
des feuilletons télé. Tous se déclarent injustement accusés, persécutés
et censurés. Mais ils restent en liberté, ne quittent pas leur fauteuil
et parlent à tort et à travers, dans tous les journaux et sur tous les
écrans de télé. Le président de la région Sicile, Totò Cuffaro,
démocrate-chrétien de l’UDC, est condamné à cinq ans de prison pour
délit de concussion et favoritisme. Il réplique illico:
«Je suis une victime, on me persécute, le favoritisme est un délit sans gravité.»
Comme si l’on disait: «Je suis un voleur, mais je pourrais faire bien pire.»
Il reste donc en place, même s’il est frappé d’interdit par l’administration.

Rats. Naples est noyé sous les ordures. On attend que quelqu’un
prenne ses responsabilités, du côté des politiques qui, pendant des
années, ont toléré que dans ce secteur la camorra dicte sa loi, avec
ses décharges illicites. Mais personne ne démissionne. Le président de
la région, Bassolino, de centre gauche, confie:
«Je suis victime d’une escalade incontrôlable.»
Le maire Rosa Jervolino déclare: «Je l’avais dit,
je suis une victime que personne n’a écoutée.»

Les anciens administrateurs, de droite, disent:
«Autrefois j’étais au pouvoir, mais ça, ce sont de nouvelles ordures.»
La RAI les reçoit dans le cadre de plusieurs débats, puis diffuse un reportage très courageux.
On y apprend que «les cafards et les rats profitent de ces conditions d’hygiène».
Maudits profiteurs, ce sont eux la cause du désastre! Espérons, au
moins, que le chef des blattes napolitaines démissionnera. Les
banqueroutes et les dettes accablent l’économie italienne. Mais presque
personne ne démissionne, au contraire: les banqueroutiers quittent une
entreprise pour une autre. Ce ne sont pas eux, se défendent-ils, qui
sont responsables de la débâcle financière, mais la récession en
Amérique, les bourses asiatiques et les syndicats.

La liste des pleurnichards rusés est longue.
Des journalistes, surpris à collaborer avec les services secrets, rétorquent:
«Nous sommes des victimes, nous étions mal payés.»
Des magistrats empochent des pots-de-vin et se définissent
«victimes d’erreurs de comptabilité».
Des sportifs qui fraudent le fisc affirment:
«Le sport c’est trop stressant, on n’a pas le temps, en plus, de penser aux impôts.»

La palme de la victimisation et de l’habileté pourrait aller au
Vatican. Il y a quelques jours, le pape devait tenir une conférence à
l’université de la Sapienza, à Rome. Certains, d’une manière grossière,
d’autres, très poliment, lui ont fait remarquer qu’il pouvait venir à
une autre occasion, mais pas pour l’inauguration de l’année
universitaire, car l’université est une institution laïque. Juste ciel!
Le pape a dit qu’il ne viendrait pas, mais il n’a pas chrétiennement
pardonné. Le lendemain, les dissidents laïques ont été lynchés par les
médias, et des dizaines de cardinaux sont apparus sur toutes les
chaînes, dénonçant le silence scandaleux imposé aux catholiques. Pour
parler du fait qu’ils ne peuvent pas parler, ils ont été les seuls à
parler pendant plusieurs jours. De toute évidence, les 30% d’espace
qu’ils occupent déjà dans les journaux télévisés ne leur suffisent pas.

Mais le chef-d’œuvre de cette astucieuse victimisation a été fourni
par Clemente Mastella, démocrate-chrétien recyclé dans le centre
gauche. Il a été mis en examen ainsi que sa femme. Etant ministre de la
Justice, et s’étant déclaré «serein et innocent», on aurait pu
croire qu’il ferait confiance aux juges et attendrait sereinement
l’issue du procès. Pas du tout! Il a démissionné en avouant:
«Entre le pouvoir et l’amour, je choisis l’amour de ma femme.»
Après quoi, il s’est dit victime d’horribles machinations, et, pour se
venger, il a quitté la majorité avec tout son groupe, prouvant ainsi
qu’il n’est plus tout à fait sûr de son innocence.

Kangourou. En Italie, il est donc inutile de voter pour une
majorité ou pour un programme. Il y aura toujours quelqu’un, parmi les
élus, qui changera d’étiquette pour faire chanter ou faire tomber le
gouvernement. Nous proposons une solution: que les candidats se
présentent sans afficher leurs idées (à supposer qu’ils en aient), tous
sous la bannière d’un parti unique, le PDK, Parti du kangourou. Après
les élections, ils seront libres de sauter de droite à gauche et d’une
coalition à l’autre pour éviter les procès, devenir ministres et
défendre leurs intérêts personnels. Ce sera un Parlement de
carriéristes et d’opportunistes, mais au moins nous le saurons à
l’avance.

(Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli)

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