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Au pays du carton-pâte – Libération

02/05/2009 à 06h52

Au pays du carton-pâte

Stefano Benni (Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli)

Y a-t-il quelque chose qui change dans les inondations, les éboulements et les tremblements de terre qui frappent l’Italie depuis des années ? Pas vraiment.
Comme toujours, après la catastrophe, on s’arrache les cheveux, on demande aux Italiens de faire des dons sous forme d’argent, on jure : «Plus jamais ça.» Mais une grande partie des maisons et des écoles italiennes sont construites sans respecter les normes de sécurité et sur des lieux dangereux. Notre pays est un pays de carton-pâte et tout le monde le sait. Depuis de nombreuses années, construction et spéculation vont de pair. Savez-vous comment les promoteurs se défendent des accusations qu’on leur adresse ? Ils disent que c’est la faute de la politique, qui a augmenté les pots-de-vin. Les démocrates-chrétiens exigeaient 8 %, les socialistes 15 % et maintenant, tout le monde veut 30 %. Ils sont donc obligés de construire avec des matériaux de mauvaise qualité, un peu de ciment et le sable de la mer, comme à L’Aquila.

Petit Duce. Le gouvernement de notre petit Duce parano s’en prend à tout le monde, sauf aux entreprises et à ceux qui auraient dû les contrôler. Il s’emporte contre les quelques sismologues qui avaient alerté contre le danger des secousses sismiques. L’un d’eux a même été mis en examen pour «propagation de nouvelles alarmantes». On s’en prend aussi aux rares journalistes qui essaient de comprendre pourquoi des bâtiments comme la préfecture et l’hôpital se sont effondrés alors qu’ils auraient dû être conçus pour résister aux secousses. Quant aux magistrats qui veulent enquêter, Berlusconi leur répond : «Ne nous faites pas perdre notre temps, nous sommes pressés.»

C’est ainsi que pendant des heures, la télévision nous montre notre petit Duce qui débarque en hélicoptère, étreint trois enfants à la fois et dit : «Il faut que les habitants de L’Aquila prennent cette période de vie sous les tentes comme des vacances en camping», ajoutant que l’on construira une «new town». Les médias montrent, à juste titre, le travail généreux d’une foule de personnes. Mais il reste beaucoup de silences et de sujets étouffés. On parle peu du colosse Impregilo, la multinationale impliquée dans des dizaines de scandales italiens, et qui obtient depuis des années les travaux les plus importants. Et qui, en guise de remerciements pour ses magouilles, devrait construire le pont de Messine. On ne parle pas des cinq centrales nucléaires qui seront bâties sur un territoire frappé par des centaines de secousses annuelles.

Politiciens. Peu de gens se souviennent que, après le tremblement de terre de l’Irpinia, en 1980, on avait distribué presque un milliard de lires pour chaque personne touchée. Si cet argent avait été remis à ses destinataires, au lieu de le laisser engloutir par les mafias, on aurait créé un petit, et riche, Monte-Carlo du Sud, au lieu des baraquements encore visibles. Il ne fait aucun doute que les Italiens adhéreront généreusement aux initiatives (sérieuses et moins sérieuses) de soutien aux Abruzzes. Mais il n’est pas sûr qu’ils ne seront pas scandalisés de voir que les gouvernants qui leur demandent de l’argent pour contribuer à la reconstruction sont les mêmes politiciens et entrepreneurs qui, depuis des années, utilisent du ciment à la barbe de toutes les règles, construisant des écoles, des hôpitaux et des digues qui s’écroulent.
Mais le tremblement de terre, c’est aussi du spectacle. La Rai et Mediaset se vantaient, dès les premiers jours, de l’audience réalisée par les émissions sur la catastrophe. Toutefois, ce taux d’audience baissera rapidement. On a calculé qu’à l’occasion de chaque catastrophe italienne, 90 % de l’information se concentre sur celle-ci durant le mois qui suit l’événement. Après, seulement 10 % de l’information est consacrée à ce qui est vraiment fait dans le but de reconstruire.
Pour donner un autre exemple de la manière dont l’Italie pleure sur ses catastrophes mais refuse de les prévenir, il suffit de penser aux accidents du travail.

Funérailles. Après une série impressionnante de morts, parmi lesquels sept ouvriers brûlés vifs dans les aciéries Thyssen, on a assisté à un bref éclair d’indignation et on a dit que de telles morts n’étaient plus tolérables. Eh bien, ces jours derniers, le gouvernement était en train de modifier le texte sur les normes de sécurité. Les entreprises se sont plaintes de ce que les coûts pour rendre plus sûres les conditions de travail étaient trop élevés et on leur a donné raison. De plus, grâce à un décret appelé «Sauve Manager», les procès en cours seront suspendus, y compris celui contre Thyssen. Donc, moins de sécurité, autres accidents, impunité pour les entreprises ; les prochains morts auront droit, une fois de plus, à petit chœur d’indignation et à un énième défilé des autorités à leurs funérailles. Nous sommes un pays qui a un grand cœur, mais il fonctionne avec des piles minuscules. Il s’éteint vite, et oublie.

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