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Le grand embouteillage

La France a failli être paralysée par la grève des
transports. Les Français sont inquiets, pas Sarkozy: la seule grève
qui l’inquiéterait serait celle des yachts. Mais si cela peut vous
consoler, en Italie, il est difficile de se déplacer, que ce soit avec
ou sans grève. Entre justifications parfaitement fondées et privilèges
corporatistes, chez nous, tout le monde admet que voyager n’est pas un
droit normal, mais une entreprise héroïque. Traverser notre pays est
souvent plus excitant et plus difficile que traverser l’Arctique ou la
jungle de Bornéo.
Exemple: les autoroutes italiennes, classées parmi les pires
d’Europe. Si vous écoutez les informations sur le trafic routier, elles
sont perpétuellement engorgées, une file continue du Brenner à la
Calabre, des moteurs ultra rapides qui tournent au ralenti et font du
cinq à l’heure.

Chiendent au benzène.
Certains tronçons sont devenus légendaires.
L’autoroute Bologne-Florence, avec ses travaux en cours
considérés comme monument national, et des goudronnages étudiés par des
égyptologues. La Salerne-Reggio Calabre, qui avance de sept centimètres
par an, entre des chantiers abandonnés et des voies uniques où pousse
du chiendent au benzène.
Il y a aussi les voies rapides accédant à Milan, Florence et Venise,
ou le grand boulevard périphérique de Rome, pièges diaboliques où,
durant les week-ends de vacances, on s’organise ainsi: le samedi
matin, on part, on enrage dans le trafic jusqu’au samedi soir, et le
dimanche matin, à 6 heures, on repart pour rentrer. On revient
avec de magnifiques photos de plaques d’immatriculation et le souvenir
d’un beau pique-nique à l’ombre d’un poids lourd teuton.
Puis il y a les trains. On a appris, voici quelques jours,
que 20 % des trains régionaux seront supprimés pour «non-rentabilité».
Les voyageurs sont entassés comme des sardines. Il y a pourtant les
fringants Eurostar. Autrefois, on les appelait «Flèche du Vésuve» ou
«Eclair de la Padanie»; aujourd’hui, ils n’ont plus de nom, ou alors
il faudrait les appeler «Limace des Apennins» ou «Superbradype du Sud».
Au moment du départ, une hôtesse non-coupable vous offre un journal,
un jus de fruit et une demi-heure de retard. En contrepartie, une voix
suave annonce, toutes les dix minutes: «Nous souhaitons aux
voyageurs la bienvenue à bord de ce train. Nous nous excusons pour
cette heure de retard et vous rappelons que dans la voiture nº 5, un
service de restauration vous propose un menu spécial.»

Bière tiède.
Les Italiens n’apprécient pas cette amabilité sournoise
et préféreraient une annonce du genre: «Nous
avertissons les moutons qui ont pris ce train que celui-ci est
parfaitement à l’heure et que s’ils veulent un sandwich surgelé ou une
bière tiède, ils n’ont qu’à aller dans la voiture nº 5 et qu’ils ne
nous cassent pas les couilles!»

Ensuite, il y a les avions. En Italie, ils sont sujets à d’étranges
suppressions et disparitions. Les causes en sont toujours «techniques».
En outre, ils arrivent et partent en suivant de mystérieux couloirs
aériens, peut-être au-delà du système solaire. Une fois, on m’a annoncé
que mon vol à destination de Rome ne partait pas parce que l’avion
prévu, en provenance de Francfort, était immobilisé à l’aéroport
d’Ibiza. Peut-être y est-il toujours, en train de danser dans une
discothèque.
Alors, se déplacer vers la mer? Dans les stations balnéaires à la
mode, les bateaux et les yachts sont si serrés que l’on peut descendre
à terre en sautant de l’un à l’autre. Des naufragés nantis, bloqués au
large durant des jours, sont parfois obligés de résister en ne se
nourrissant que de caviar et d’apéritifs.

Poumons propres.
Enfin il y a les transports urbains. Un
embouteillage cosmique, un hymne de klaxons furibonds, une accumulation
de gaz et poisons. On a donc inventé le dimanche sans voitures, comme
ça, le lundi, les citadins ont des poumons bien propres et peuvent
inhaler tout l’air pollué de la semaine. La faute aux maires timorés,
parce que toucher à la voiture des Italiens, c’est perdre des voix aux
élections.
La faute aussi aux Italiens qui, bombardés de spots télévisés, se
déplacent en voiture, même pour aller acheter une voiture. Il arrive
aussi qu’à Rome, à 9 heures du soir, sur l’Appia Nuova, on se
mette à goudronner, bloquant la circulation pendant des heures. Bus et
taxis font la grève à l’appel de cinquante syndicats différents; le
seul secteur qui ne chôme jamais, ce sont les limousines
ministérielles, qui parcourent la ville toutes sirènes hurlantes. Et
donc, si vous venez en Italie, informez-vous sur les horaires des
grèves. C’est le meilleur moment pour voyager. Il y aura une pagaille
monstre, mais au moins, vous connaîtrez les horaires.

(Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli)

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