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Bienvenue à Silvioland!

Si vous comptez passer vos vacances d’été en
Italie, sachez qu’il y aura du changement. En effet, à partir du mois
de mai, notre pays sera divisé en deux Etats: l’Italie du Nord et
l’Italie du Centre-Sud. Le nouveau ministère nordiste, dirigé par les
léghistes, est déjà en train de construire un mur en béton de
350 kilomètres de long, qui ira de Grosseto à Ascoli Piceno. Le
conducteur de travaux, Umberto Bossi, a dit que, grâce à ce mur, on
résoudra aussi le problème de l’immigration. Car 200 000 ouvriers
immigrés s’affairent déjà à sa construction, bloc par bloc, sous le
regard sévère de l’armée lombardo-vénète. Ils travaillent gratis, et ne
sont fouettés que dans des cas extrêmes.
«De toute façon, ils vivaient encore plus mal sous ce communiste de Ramsès»,
a déclaré l’empereur du Nord, Silvio Berlusconi.

Ordures. L’Italie du Nord, dont le Parlement siégera à Milan,
s’appellera Silvioland. Elle sera riche, armée et habillée par les
grands couturiers. Tous les chefs d’entreprise, petits et grands,
seront exemptés d’impôts. «Nous découragerons ainsi, a dit Gianfranco Fini,
toute forme de fuite des capitaux.»
Pour vivre au nord, il suffira de jurer fidélité à l’empereur, d’avoir
la peau blanche et de posséder au moins un 4 x 4. La langue officielle
sera l’italo-anglo-marketing, et les écoles s’appelleront
«préentreprises». Les livres d’histoire seront réécrits par une
commission présidée par le mafieux Dell’Utri, qui expliquera comment la
résistance communiste a injustement et sanguinairement interrompu les
réformes de Benito Mussolini. La vente d’armes sera totalement libre.
L’avortement sera puni, ainsi que la masturbation, sauf si l’on
démontre que l’on regardait, à ce moment-là, une émission d’une des
chaînes de Berlusconi.

Mozzarellas. En Italie du Sud, en revanche, on paiera encore des
impôts, mais les dessous-de-table à la mafia seront déductibles. Le
problème des ordures sera résolu grâce à une réduction drastique des
produits alimentaires, c’est-à-dire en diminuant les portions des
voraces méridionaux qui profitent des ressources du Nord. Si vous
voulez visiter le Sud, vous avez donc intérêt à emporter quelques
provisions et douze sacs en plastique: vous y mettrez vos déchets, que
vous devrez ramener dans votre patrie. Le problème des mozzarellas
toxiques sera également réglé. Les bufflonnes de Campanie seront
déportées au nord, où elles disposeront des verts pâturages alpins, et
elles seront munies de manteaux en loden, afin de résister au froid. La
compagnie Alitalia sera partagée ainsi: au nord, Air Sept Nains, qui
appartiendra aux enfants de Berlusconi; au sud, Air Biberon, qui ira à
ses petits-enfants et aux parrains siciliens. Mais beaucoup d’Italiens
sont opposés à cette division du pays. Les régions rouges survivantes,
celles du tzar Veltroni, demandent à avoir chacune un festival de
cinéma et un statut autonome. Rome sera englobée dans le Vatican, qui
possède déjà la moitié des immeubles de la ville et qui deviendra un
excellent paradis fiscal, plus proche que Monte-Carlo. Les équipes de
foot de la Roma et de la Lazio ne pourront continuer à jouer que si
leurs joueurs se font moines. Les maillots seront des frocs, fendus
haut sur la jambe.

Algues. Venise sera vendue aux Américains et deviendra un état
des USA; ses ruelles sombres seront enfin éclairées par les néons de
McDonald’s. La montée des eaux sera résolue par Coca-Cola, qui mettra
l’eau en bouteille et commercialisera le Rat-Cola, une boisson aux
algues avec un ingrédient secret. Rimini sera vendue aux Russes et sera
transformée en immense casino, Riccione pourrait devenir le plus grand
restaurant chinois du monde, avec 30 000 tables en terrasse.

Mais trois choses continueront à souder notre beau pays.
Premièrement, la mafia, qui unit les banques du Nord aux clans du Sud.
Deuxièmement, le climat méditerranéen, désormais pluvieux et instable,
d’Aoste à Brindisi. Troisièmement, la télévision, qui est la même sur
toutes les chaînes, avec les mêmes têtes et les mêmes infos du nord au
sud, sans distinction. Et donc, ne craignez rien: pour les touristes,
il suffira de deux passeports et d’un dictionnaire nordiste-sudiste.
Certains en seront navrés, mais c’était inévitable. Au fond, l’Italie
était trop variée et complexe pour être gouvernée. Mieux valait la
couper en deux ou en trois morceaux. Ils y ont réussi.

(Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli)

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