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Berlusconi, version française

SAMEDI

Un débat très tendance

Pour la plupart des médias italiens, le duel télévisé
Sarkozy-Royal n’a pas été un débat, mais quelque chose à mi-chemin
entre un casting et un défilé de mode. D’après nos lookologues
omniprésents, Ségolène était lumineuse mais trop agressive, et son
tailleur, vaguement sadomaso. Sarkozy était inexpressif, il imitait
Bush, et sa veste était trop rembourrée. Y a-t-il une femme
politique italienne qui ait le charme de
Ségolène-tout-de-blanc-vêtue? Il n’y en a pas. Celles qui sont
compétentes sont timides et celles qui sont séduisantes, mal
préparées. Y a-t-il un Sarkozy italien? Il suffit d’aller dans une
discothèque à la mode.
Pratiquement personne n’a parlé des différences entre leurs
programmes ni de leur passé politique. Pour la plupart des
journalistes, les 35 heures, c’est le temps qu’a mis Sarkozy pour
se coiffer. Quoi qu’il en soit, tout le monde s’accorde pour dire
que c’était un vrai face-à-face, alors que, lors de leur
confrontation télévisée, Prodi et Berlusconi ne pouvaient même pas
s’effleurer, on aurait dit une pub pour un contraceptif.
Certains me demandent:
«Mais si Sarkozy l’emporte, est-ce que ça changera les relations
entre la France et l’Italie?»
Je ne pense pas: les affaires
aplanissent toutes les dissensions, comme nous l’ont enseigné
Poutine et la Chine. Si l’amitié italo-française a résisté au coup
de tête de Zidane, elle résistera aussi à Sarkozy. Mais qu’il
n’essaie pas de donner un coup de tête dans le ventre de Prodi, ça
aurait un effet airbag.

DIMANCHE

Le sourire factice de Sarkozy

Venise. Le quai des Zattere est envahi par les immigrés que tout
le monde aime: les touristes qui paient. Je demande à un couple de
Parisiens assis dans un bar s’ils rentreront dans leur patrie pour
voter. Non, répondent-ils. Le jugement de la femme est sans appel:
«Ce sont deux parvenus, il a été maire des riches, elle ne
fréquente que les salons.»
Le mari est plus accommodant:
«Ils n’ont pas le style de Chirac.» Puis il regarde la lagune
et soupire.
«Comme c’est beau Venise! Ici il n’y a pas de banlieues comme
chez nous.»
Je voudrais lui dire: si vous regardez vers la mer,
évidemment il n’y en a pas, mais derrière vous il y a Mestre,
Marghera et l’une des périphéries industrielles les plus
problématiques d’Italie. Mais souvent les touristes ne regardent
que d’un côté. Ça m’est arrivé, à moi aussi.
Je suis souvent allé à Paris, et parfois en banlieue. Par
exemple l’an dernier, quand il y a eu le championnat de foot de rue
à Aubervilliers. C’était très festif, des jeunes de toutes les
ethnies jouaient ensemble.
«Je n’aime pas Sarkozy: il ne sourit pas, il ricane», m’a
dit un enseignant du quartier. Moi non plus, je ne suis pas
convaincu par le sourire de Sarkozy, il est aussi factice que celui
de Berlusconi, aussi factice que les applaudissements enregistrés à
la télé. Attention, ceux qui sourient comme ça se vengent,
après.
Les jeux sont faits. Ségolène-de-blanc-vêtue n’a plus qu’à
espérer que les sondages français soient comme les italiens, qu’ils
se trompent lourdement dans les prévisions (mais l’ombre d’une
magouille plane toujours). On tire les dernières bordées. Sarko,
qui a dit des énormités, se plaint et joue les victimes, Ségolène
est agressive avec lui. C’est la même tactique que Berlusconi:
insulter ses adversaires puis pleurer parce que le méchant ennemi
vous attaque. Sarkozy, lui aussi, mord puis se met à pleurer. Après
la gauche caviar, voici la droite caïman. Et quand ce n’est pas lui
qui mord, il délègue Dati et Alliot-Marie, ces Erinnyes tous frais
payés qui tirent à boulet rouge sur Royal. Elles disent:
«Elle change d’avis comme de jupe.» Mais, comme le dit mon
amie Marguerite, pourquoi ne dit-on jamais d’un homme «Il change
d’avis comme de cravate, ou de voiture»?

LUNDI

Prodi en mozzarella géante

Sarkozy est le nouveau roi de France. Ségolène se félicite.
Madame a bien combattu, elle n’avait peut-être pas d’idées très
nouvelles, mais elle s’est bien défendue. Le problème de Sarko
maintenant est d’échapper à la mélasse des félicitations. Prodi
parle d’amitié fraternelle, Berlusconi dit que Sarkozy l’a pris
pour modèle. Blair et Merkel le cajolent. Bush espère qu’il pourra
se faire une belle petite guerre avec lui. En quelques heures ses
fans se sont multipliés. Entre-temps, les politiques et les
politologues italiens disent qu’ils avaient prévu tout ça depuis
longtemps et donnent des conseils. La droite italienne, qui en cinq
ans de gouvernement a perdu une multitude de voix et les élections,
affirme: pour gagner, il fallait faire comme Sarkozy, on l’a
toujours dit. La gauche en revanche explique à
Ségolène-tout-de-blanc-vêtue pourquoi elle a perdu. Ils n’auraient
pas pu la prévenir avant? Trop Jeanne d’Arc et trop hautaine
d’après eux, et elle ne plaisait pas aux Italiennes. Certains
soutiennent que Prodi est notre Ségolène vainqueur, car il est à la
fois maman et papa; donc il convainc tout le monde. Le problème
reste le look. En tailleur blanc, il aurait l’air d’une mozzarella
géante.

MARDI

Terrorisme verbal antipape

En Italie, explosion de polémiques à cause d’une phrase sur le
pape prononcée par un acteur lors d’un concert. Le Vatican lance
l’anathème, dire du mal du pape c’est du terrorisme. L’église veut
avoir du pouvoir sur la politique italienne, elle menace fidèles,
députés et dissidents. Mais ce n’est pas un signe de force, et
cette église militarisée déplaît à beaucoup de catholiques. A
Bologne, par peur de mystérieux attentats, la basilique de la ville
est sous haute surveillance, on ne peut plus s’asseoir sur les
marches et on entre par une sorte de détecteur de métaux. Bientôt,
il faudra aller se confesser avec un gilet pare-balles.
Il y a des années, Bologne était le lieu de la gauche, de la
laïcité et de la tolérance; maintenant, la curie est l’un des plus
gros propriétaires fonciers de la ville, elle sème des anathèmes et
la peur de la différence. Peut-être la France échappera-t-elle à
cela, peut-être qu’une idée d’Etat laïque subsistera. Mais les
crises ascétiques de Sarkozy sont de mauvais augure. Attaquer
l’enfer au Kärcher ne serait peut-être pas une mauvaise idée.

MERCREDI

Le jeu des sept erreurs…

Maintenant que commence l’ère Sarko, quelles différences avec
l’ère Silvio? Elles existent, et comment! Berlusconi est un
industriel milliardaire devenu homme politique par ambition,
Sarkozy est un carriériste politique de naissance. Berlusconi est
un séducteur rondouillard qui veut ressembler aux dessins animés de
Walt Disney; Sarkozy est tout en arêtes et en angles, il a
l’allure d’un superhéros de mangas japonais, ou du moins il
aimerait. Pour paraître plus grand, Berlusconi met des talons,
Sarkozy monte à cheval. Berlusconi va aux procès en tant qu’accusé,
Sarkozy, pour l’instant, en tant qu’avocat. Sarkozy fait du
jogging, Berlusconi des liftings. Sarkozy a grandi dans l’ombre de
Chirac, Berlusconi dans celle de Craxi. Tous les deux les ont
utilisés, puis lâchés, mais la fin de Craxi a été plus
dramatique.

JEUDI

… et mille et une ressemblances

Cela dit, les ressemblances sont frappantes. Bien sûr, il y a la
taille et l’obsession des cheveux. Et ils ont tous deux des femmes
qui ne les supportent plus. Ils sont tous deux convaincus d’êtres
investis d’une mission divine: Berlusconi se disait oint par Dieu,
et Sarkozy se dit mystique; bientôt il dira qu’il a vu pleurer une
statue de De Gaulle… Ils utilisent des arguments eugénésiques.
Pour Sarkozy, ceux qui se suicident ont un problème génétique, pour
Silvio les juges étaient génétiquement différents. Tous deux
détestent les intellectuels, surtout ceux qui les critiquent.
Sarkozy attaque le Mai français, Berlusconi le 68 italien. Tous
deux sont profondément racistes, mais ils ont de la chance, il y a
encore plus racistes qu’eux, la Ligue en Italie, Le Pen en France.
Mais ce qui les rapproche le plus, je le répète, c’est leur
jovialité factice. Leur sourire est accommodant, mais ils sont
irascibles, mégalomanes et vindicatifs. Dès qu’il sera au pouvoir —
j’espère me tromper —, Sarkozy jettera ce petit sourire de star
télé et redeviendra arrogant.

VENDREDI

Totems sans tabous

Les électeurs français sont déçus. Sarko n’est pas allé prier
dans un couvent. Ni dans une pension deux étoiles pour être plus
près du peuple. Il s’est rendu en jet privé sur le luxueux yacht
d’un homme d’affaires. Et il n’a invité personne. C’est vrai,
a-t-il dit, je suis le président de tous les Français, mais sur ce
yacht on ne tient qu’à douze. Tout le monde commence déjà à
s’inquiéter: ne nous aurait-il pas bernés? Il ne va pas se mettre
à fréquenter la racaille des finances? Et surtout, il ne va pas
faire comme Berlusconi? Bon, reprenons les différences:
Berlusconi ne se ferait jamais inviter sur un avion ou un yacht,
c’est lui qui invite les autres. Mais oui, laissez-lui prendre des
vacances, au petit Sarko. Au fond, la mer est un lieu de
méditation, tout comme un couvent. Et là-bas, parmi les flots,
l’inspiration viendra. Saint Modéré lui apparaîtra-t-il, le saint
Biparti qui guide les leaders sur la voie du compromis? Ou le
totem géant du Grand Kärcher, grâce auquel on balaie tous les
ennemis, la racaille immigrée, les soixante-huitards et les 47%
des électeurs français qui n’ont pas voté pour lui?
J’oubliais, une dernière différence entre Sarko et Berlusconi.
Sarkozy rêve de balayer l’ennemi au Kärcher. Berlusconi aussi, mais
avant il rachèterait toutes les entreprises qui en fabriquent.

(Traduit de l’italien par Eve Duca en collaboration avec Marguerite Pozzoli)

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